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Ressources marines   Un quart de surpêche !

Selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), près de la moitié de la pêche française est exploitée durablement. Mais un quart des stocks de poissons sont encore surpêchés.

Pour la deuxième année consécutive, l’Ifremer a présenté l’état écologique des poissons pêchés en France. L’institut qui évalue aujourd’hui 160 stocks régionaux (deux fois plus qu’en 2000) estime que 49 % des volumes pêchés sont issus de populations exploitées durablement (c’est-à-dire sans affecter la capacité des adultes à se reproduire) contre 15 % il y a 20 ans. La mise en place de quotas et la réduction drastique des efforts de pêche ont porté leurs fruits et permis à certains stocks de se reconstituer. L’exemple du thon rouge est emblématique : après avoir failli disparaître au début des années 2000, le roi des thonidés a retrouvé son abondance, en Méditerranée comme en Atlantique, grâce à des mesures de gestion draconiennes. L’Ifremer met aussi en avant le succès des plans de gestion de la baudroie et du merlu dans le golfe de Gascogne et en mer Celtique ou des coquilles Saint-Jacques dans la Manche. Mais il reconnaît encore que de nombreuses zones d’ombres subsistent dans ce tableau. Les scientifiques de l’institut estiment que 26 % des populations sont surpêchées (c’est-à-dire que le prélèvement est supérieur à celui permettant le rendement maximal durable ou RMD), parmi lesquelles 3 % sont vraiment « dégradées » (notamment le chinchard Atlantique et le merlan en mer du Nord et Manche-Est), tandis que 2 % appartiennent à la catégorie la plus alarmante, celle des stocks effondrés. C’est le cas du merlan de la mer Celtique et du cabillaud de la mer Celtique et de la mer du Nord. Pour l’Ifremer, ce dernier a manifestement souffert de l’abandon du plan de gestion des pêches pour des raisons socio-économiques, alors qu’il avait permis de mettre un coup d’arrêt à l’effondrement de la biomasse dans les années 1970-2000. « Il faut des mesures de gestion, la seule autodiscipline des professionnels ne suffit pas », remarque Alain Biseau, biologiste à l’Ifremer.

Enfin, le dernier quart correspond à des populations pour lesquelles il n’existe pas suffisamment de données pour évaluer leur état de santé, car elles ne font pas l’objet de mesures de gestion. « C’est notamment le cas en Méditerranée où la plupart des écosystèmes sont mal en point », déplore Clara Ulrich, directrice scientifique adjointe de l’Ifremer.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE FAIT UNE ENTRÉE FRACASSANTE

Par ailleurs, l’institut travaille depuis de nombreuses années sur la diminution de la taille et du poids des sardines et des anchois dans les golfes du Lion et de Gascogne« L’alerte a été donnée dès 2007-2008 par des pêcheurs méditerranéens qui ne parvenaient plus à commercialiser leurs sardines trop petites pour la conserverie », rappelle Martin Huret, chercheur en écologie marine. En l’espace d’une décennie, leur taille a diminué de 13 à 10 cm et leur poids moyen ne dépasse plus 10 g contre 30 g auparavant ! Résultat : les débarquements ont décliné de 20 000 à 2 000 tonnes par an. Dans le golfe de Gascogne, la situation est moins critique, car l’espèce Sardina pilchardus est naturellement plus grande dans l’océan Atlantique. Elle est tout de même passée de 18 à 15 cm, et son poids a diminué de moitié. Autre constat : ces petits poissons vivent aussi moins longtemps.

Pour expliquer cette évolution, les scientifiques privilégient le changement climatique« Nos recherches ont permis de mettre de côté les effets de la pêche, les maladies et les prédateurs comme cause des difficultés rencontrées par les pélagiques dans ces zones », poursuit Martin Huret. L’impact de la température et de la nourriture semblent les facteurs les plus probables de la mutation de ces stocks. « Grâce à nos satellites, nous observons une diminution de l’abondance du plancton et aussi de sa qualité. Il est donc moins efficace pour la croissance de ces populations. » Le constat est d’importance car ces espèces pélagiques fonctionnent comme des lanceurs d’alerte. Vivant en bandes très denses, elles évoluent à la surface des océans et sont directement impactées par la dégradation du plancton. Le phénomène pourrait ultérieurement toucher directement ou indirectement d’autres espèces. « Dans la Baltique, les cabillauds sont devenus tout maigres, on dirait des sardines… », constate Clara Ulrich. Voilà qui n’est pas très rassurant pour l’avenir de la ressource halieutique !

L’objectif de la politique commune des pêches (PCP) était que 100 % des volumes pêchés dans les eaux européennes proviennent de stocks exploités durablement à l’horizon 2020. Pour sa part, la France en est loin, avec à peine 50 % de l’objectif atteint même si l’évolution globale est bonne. Les résultats fournis par l’Ifremer montrent aussi que les mécanismes de régulation de la ressource sont complexes et encore mal maîtrisés. Surtout lorsque les phénomènes liés au réchauffement climatique entrent en jeu. Il est certes vertueux d’inciter les consommateurs à pratiquer une consommation responsable des produits de la mer, mais cela risque fort de n’être qu’une goutte d’eau face aux bouleversements qui touchent nos mers et nos océans. N’en déplaise aux climatosceptiques qui verront malheureusement le résultat dans leurs boîtes de sardines. S’il en existe encore !

Florence Humbert